Alors que la crise du logement s’aggrave à Marseille comme ailleurs, on commence à entendre parler d’habitat participatif, écologique, qui répond aux problèmes de l’isolement, de la standardisation des habitats et de leur empreinte écologique. Par ailleurs, le problème de la spéculation immobilière doit être posé et des solutions envisagées pour y remédier.
Les coopératives d’habitants proposent une alternative à ce système.
Même sans intentions spéculatives, toute personne qui devient propriétaire en tirera profit en le revendant un jour plus cher qu’il n’a coûté, ou en perçevant des loyers. Lorsqu’un immeuble est la propriété collective d’une coopérative, les habitants-coopérateurs ont un droit d’usage sur leur logement mais ne peuvent le vendre ou le louer sur le marché pour en tirer un profit. Les locaux sont donc seulement des logements et non pas des capitaux.
En France et en Allemagne plusieurs collectifs et associations expérimentent des montages juridiques pour créer, à partir de la législation existante, une nouvelle forme de propriété qui permettrait l’usage et non la spéculation.
Le logement social n’offre qu’une alternative imparfaite car il ne développe pas le droit d’usage : il reste dans l’alternative propriété/location. Sans compter qu’il est largement insuffisant.
Une 3e voie : la propriété coopérative
Il y a pourtant une troisième possibilité, ce sont les coopératives d’habitat. Ce statut de coopérative privilégient les intérêts des participants (salariés et usagers) avant ceux des investisseurs.
Ainsi, chaque coopérateur a une voix dans les assemblées de la coopérative: selon le principe démocratique « une personne = une voix ».
Un verrou anti-spéculatif
En Allemagne, suite à l’instabilité et à la répression des années 80, des squatteurs ont cherché à monter des projets d’habitation à la fois autogérés et pérennes. Ne trouvant pas comment réunir autonomie et stabilité sans recourir à la propriété privée, ils ont cherché à « hacker » le droit de la propriété pour l’amputer de sa dimension capitalistique et spéculative, et n’en garder que le droit d’usage.
L’idée centrale du Miethäuser Syndikat est de créer des immeubles autogérés et de les retirer définitivement du marché. Le montage est le suivant : le propriétaire de l’immeuble est une Sarl (Gmbh) dont les deux actionnaires sont l’association des habitants et l’association du Syndikat. En ce qui concerne la gestion du lieu, l’assemblée est souveraine ; mais pour revendre les locaux, les transformer en propriétés individuelles ou pour tout changement de statuts il faut réunir les deux voix de l’assemblée et du Syndikat. Celui-ci, composé de tous les projets membres, fonctionne comme une instance de veille qui empêche par son veto toute opération spéculative sur le bien, même lorsqu’une nouvelle génération aura remplacé les premiers habitants.
Les habitants paient une contribution mensuelle qui leur donne un droit d’usage sur le logement et une voix dans l’assemblée des habitants: la propriété est collective. Ils ont le droit de transformer leur logement et décident collectivement de la gestion, des travaux et du règlement intérieur. Ces « loyers », qui permettent de rembourser les crédits bancaires et directs, diminuent fortement lorsque l’emprunt est remboursé. Toutes les assemblées payent, en fonction de leur surface et du poids de leur endettement, une contribution à un fonds de solidarité qui aide les projets naissant. Le Syndikat fait aussi office de plateforme d’information et de conseil pour ces derniers.
Le Grether Projekt initia ce modèle en 1989. Aujourd’hui près de 1500 personnes habitent dans les 47.500 m2 des 63 projets liés au Mietshaüser Syndikat. L’ensemble des projets représente une somme de 58 millions d’euros, dont certains sont déjà intégralement payés. 25 nouveaux projets sont en gestation.
L’organisation en réseau du Mietshaüser Syndikat, comme celle d’Habicoop, permet de faciliter progressivement le montage juridique et technique du projet, mais aussi aider dans la recherche de terrain et de financement. Pour les premières coopératives d’habitat le parcours est difficile et en décourage plusieurs, mais à mesure que les expériences s’accumulent et le réseau grandit, la diffusion peut commencer à devenir exponentielle.
Bricolages à la française
En France, le collectif « CLIP » cherche des moyens juridiques qui permettraient de reproduire la radicalité modèle du Syndikat – ce qui est difficile en raison des différences de régimes juridiques.
En Ardèche, l’écovillage du Hameau des Buis a inventé une autre forme originale : l’association des habitants consent un prêt viager à taux zéro à une société commerciale qui lui octroie en contre- partie un droit de jouissance sur les locaux. Deux associés détiennent les parts de cette société : l’association des résidents et une autre association qui jouera le rôle d’organe de veille.
Ce montage garantit le caractère collectif de la propriété et la non spéculation, mais il est expérimental et repose sur les accords moraux des habitants sur certains points – le droit existant n’étant pas modulable à souhait.
Dans tous ces modèles il s’agit au fond de séparer l’usufruit (le droit de l’utiliser et d’en percevoir les fruits), attribué aux habitants, de la nue propriété (le droit principalement de modifier ou vendre le bien), transférée à une entité indépendante qui fait office de verrou anti-spéculatif.
En éloignant ainsi l’élément critique de la propriété privée (le droit de vente) dans une instance réglementée de manière judicieuse, on libère le droit d’usage de toute prédation. On peut même étendre ce démembrement en séparant la propriété du foncier et celle du bâti, ce qui éloignerait encore plus le droit de vente des mains des habitants.
Vers la propriété d’usage
Ces immeubles mis hors marché ouvrent un nouvel horizon, celui d’une propriété d’usage où le droit à un espace dépend du besoin qu’on a d’habiter. Ces coopératives d’habitants conditionnent l’accès à ce droit d’usage :
1) au besoin d’un domicile 2) à l’adhésion aux valeurs non spéculatives et participatives de ce mode d’habitat.
Cela institue un nouveau type d’habitant : avec tous pouvoirs de décision sur son lieu d’habitation, il est plus qu’un locataire mais sans pouvoir spéculer sur son bien. Il a le droit de transformer son logement et décide collectivement de la gestion, des travaux et du montant de la redevance dans l’association.
C’est l’assemblée des habitants qui fixe le règlement intérieur. En cas de conflits ou de défauts de paiements de la redevance, l’assemblée s’efforce d’établir un dialogue et applique le règlement de manière concertée; ce qui protège les habitants contre le risque d’expulsion financière par un propriétaire.
Au terme des années nécessaires au remboursement du prêt, alors que le marché aura probablement beaucoup augmenté, le bien coopératif, lui, ne demande plus à ses usagers qu’une charge financière minime pour l’entretien. Non seulement ce type de projet retire définitivement un bien de la spéculation immobilière, mais en plus il permet de rendre l’usage de ces locaux disponible à moindre coût, pour les fondateurs, puis au fil des déménagements, pour de nouveaux arrivants.
Vers un statut légal ?
La réflexion annoncée par la ministre du logement pour créer un statut spécifique est encourageante : cela permettrait de consolider et d’étendre ce type de projet à plus grande échelle. Mais il faudra être attentif aux effets de cette institutionnalisation. Dans plusieurs pays, comme en Allemagne, leur statut légal ne garantit pas la non spéculation.
Un autre danger existe lorsque les politiques publiques envisagent l’habitat coopératif comme un substitut au logement social et amalgament deux logiques bien différentes. C’est pourquoi le Mietshaüser Syndikat en Allemagne ou Radical Routes en Angleterre ont dû se créer en marge des formes légales. L’enjeu en France est donc de consolider ces montages prometteurs sans perdre leur sens ni leur radicalité.